LA VIE DE JOINA

5 mars 2009

L’île existe, c’est nous

Filed under: Histoires — joina @ 19:47

Je viens de revoir « The island« , une de mes films préférés. J’écoute beaucoup « Human » des Killers et « No surprises » de Radiohead. J’ai lu la nouvelle « Ça va vous plaire » de Bernard Werber. Tout ça m’a aidée à réfléchir, et j’ai besoin de déposer ici ce que je ressens, pas pour juger des comportements ou donner des leçons en me basant sur mon expérience, car je suis persuadée que tout le monde fait de son mieux, qu’il n’y a pas de méchant et que chacun mérite vraiment d’être aimé et de trouver le bonheur, mais juste pour éviter que tout ça me dévore de l’intérieur, et pour essayer de comprendre le monde qui m’entoure. Voila, je vois que nous sommes tellement à prendre soin de faire ce que l’on attend de nous, en bridant nos désirs et nos envies, et qui nous retrouvons si malheureux sans savoir pourquoi, et qui avons même presque honte d’être malheureux car nous avons, vu de l’extérieur, tout ce qu’il faut pour être comblés. Mais la seule chose qui compte c’est ce qu’il y a à l’intérieur. Même si personne ne voit le trou noir dans ton cœur ça ne l’empêche pas d’exister et d’aspirer tout sur son passage, en t’éloignant de la personne que tu veux être. Comment faire les bons choix pour s’en sortir ? Tout le monde semble avoir son avis sur la question, surtout nos proches, presque toujours avec de bonnes intentions, et c’est tentant de se reposer sur leurs idées et leurs conseils qui paraissent pleins de bon sens, mais la vérité est que chaque être est le seul et unique à savoir ce dont son cœur à besoin pour combler ce trou, afin de pouvoir construire sa maison sur un sol solide. Voici une petite histoire pour illustrer mes pensées, à laquelle  je ne donnerai pas de conclusion, car je crois qu’il n’en existe pas d’universelle, et comme je l’ai dit je pense que chacun a la réponse enfouie en lui même, et dois la trouver seul. Ce dont je suis certaine par contre, c’est que rien ne s’arrange jamais tout seul avec le temps pendant qu’on regarde ailleurs, et que l’espoir est puissant mais qu’il ne produit pas autant de miracles que les mots ou les actions.

« Tu dois te donner à fond, on va t’aider à t’améliorer, à mieux rentrer dans le moule » te disent des gens à qui d’autres ont dit la même chose un peu avant, et qui arrivent même à s’auto-persuader que c’est pour ton bien. Soit bien sage, écoute tes parents, fait un effort, tu ne voudrais tout de même pas causer de la peine, serre les dents, ne montre pas que tu souffres, de quoi te plains tu ? Tu as tout ce qu’il faut pour être heureux, une femme, des enfants et même un petit chien. Marié à 28 ans, papa à 30, c’est bon tu es dans la norme. Tu es ingénieur, ta mère en a les yeux qui brillent quand elle en parle à ses amies. Toi tu fait des copier-coller toute la journée, tu es cadre mais tu ne cadres que toi même, et encore. Mais il y a tellement de chômeurs, tu as de la chance après tout, tu as de quoi rembourser l’emprunt pour la maison. Tu rentres chez toi le soir, dans un lotissement où toutes les maison se ressemblent, et dans chaque jardin il y a un joli portique. Tu dînes à peine arrivé, pendant qu’a la télé ils racontent le dernier massacre en Afrique. Ta femme a eut une mauvaise journée, elle est fatiguée par son travail, elle en a assez de devoir gérer les enfants toute seule tous les soirs. Elle commence à te faire des reproches et toi tout ce que tu aimerais c’est un peu de silence. Elle te dit que tu ne la regardes plus comme avant, que tu ne lui dis jamais que tu l’aimes, que tu ne lui proposes jamais de partir en week-end, toi tu voudrais qu’elle s’arrête de parler, tu n’aimes pas ce genre de discussions, tu sais comment ça va finir. Tu lui réponds que ça a toujours été comme ça, que tu ne peux pas changer, que tu ne seras jamais un mari parfait. Tu lui rappelle que c’est toujours elle qui a tout décidé : le mariage, la maison, les enfants… et qu’elle aurait du y penser avant si ton caractère ne lui convenait pas (d’ailleurs c’est aussi elle qui a choisi les vêtements que tu portes, les plats que tu manges, les endroits où tu vas… mais tu ne peux pas t’en plaindre car tu sais très bien que tu as toi même laissé s’installer ces mécanismes de dépendance, par facilité et pour éviter les confrontations). Les enfants jouent à la console en haut, tu ne veux pas qu’ils entendent vos disputes, ils n’ont pas mérité ça. Ta femme fait un crise de spasmophilie, elle a du mal à respirer, elle te dit en pleurant qu’elle n’en peut plus, qu’elle fait tout ce qu’elle peut et même plus pour te rendre heureux, qu’elle n’arrive pas à comprendre ce que tu veux d’elle. Tu ne sais pas quoi répondre, tu te dit qu’elle n’a pas tort, que tu devrais surement être plus reconnaissant pour tout ce qu’elle fait pour toi. Tu as honte d’être un si mauvais mari, de ne pas l’aimer comme elle le mériterait, tu voudrais disparaitre. Mais tu ne peux pas, tu as une famille, il y a tous ces gens qui comptent sur toi, alors tu prends sur toi, tu essaies de te calmer, tu serres ta femme dans tes bras et vous vous couchez ensemble. La nuit tu te réveilles et tu sens comme une boule dans ta gorge, tu voudrais pouvoir pleurer toi aussi. Le lendemain ta mère appelle, elle trouve que tu as une drôle de voix, elle s’inquiète pour toi. Tu fais de ton mieux pour la rassurer, mais elle te connait bien elle n’est pas dupe. Elle te dit que ça ne va pas fort pour elle, et tu l’écoute impuissant. Tu lui promet de venir passer le week-end près d’elle, tu sais qu’elle ne vivra pas éternellement. Tu sera encore obligé de feinter pour ne pas avoir à lui confier tout ce que tu as sur le cœur, tu penses que de toute façon ça ne servirait à rien et qu’elle a déjà bien assez de soucis comme ça. Tu as presque accompli la moitié de ton existence, voire plus si un cancer vient te chercher avant l’heure, tu as l’impression de ne pas être à ta place, tu ne sais même plus ce qui te plait dans ta vie, tu ne te souviens pas de la dernière fois où tu as ri de bon cœur sans te forcer. Au boulot tu vois des collègues parler tout bas en te regardant, tu es persuadé qu’ils racontent des choses sur toi, tu sens une bouffée de haine t’envahir, « de quoi ils se mêlent ceux là ? », tu ne dis rien mais tu n’oublieras pas. Tous les jours tu fais les mêmes gestes, sans y réfléchir, tu fais ce qu’on attend de toi, tout le monde te trouve si poli, si serviable, tu ne veux pas déranger, tu veux être quelqu’un de bien, tu es comme un petit garçon perdu dans un monde trop complexe. Alors tu te transformes en corps sans esprit, tu te comportes comme un automate, une marionnette, une feuille morte baladée au gré du vent. Tu ne préfères pas trop penser à ta vie, à tes rêves, à ton futur, c’est trop douloureux. Pendant que tes rides se creusent et que ton front se dégarnit tu continues sagement ta chorégraphie. Le boulot, les courses, la télé, les soirées devant le PC, les visites des beaux parents, le samedi au mieux un tour chez But puis Buffalo grill, deux semaines de vacances en aout. « Une belle petite famille » pensent les voisins. Quand tu te regardes dans le miroir tu ne supportes plus ton reflet, tu te trouves si con, tu te vois répéter sans cesse les mêmes erreurs, et chaque fois tu te détestes un peu plus. Sur les photos de famille tu fais ton plus beau sourire, depuis le temps tu sais comment ça marche. Tu doutes de tout, même de tes doutes. Est ce que c’est réellement pire ici qu’ailleurs où est ce que c’est juste dans ta tête ? Est ce que tous ces efforts et ces concessions ont un sens, une raison d’être, où ce que vous n’êtes pas en train d’écoper à la petite cuillère, par habitude plus que par conviction, sur un navire en train de sombrer ? Est ce que tu n’aurais pas un peu mérité tout ça ? Est ce que tu sais au moins ce que tu aimerais faire à la place, et es tu vraiment à la hauteur pour tenter ta chance et réussir ? Est ce qu’il existe réellement autre chose, ou est ce que tout le reste ce ne sont que de belles histoires pour enfants trop naïfs, des illusions qui t’offriront cinq minutes de plaisir avant de te projeter violemment le nez dans le caniveau, où tu te retrouvera seul et misérable ? Quel genre d’homme abandonne sa famille comme ça sans raison valable ? Veux tu vraiment passer pour un irresponsable, un égoïste, un lâche au yeux de tous les gens qui te connaissent et qui auront forcement un avis sur la question ? Le soir tu n’a plus envie de rentrer chez toi, alors tu restes travailler tard, et ton chef apprécie. Il te dit qu’il est content de te voir aussi impliqué sur le projet, il t’octroie une belle augmentation. Tu te dit que tu es au moins reconnu pour quelque chose, ça te met de bonne humeur un moment. Puis le projet s’arrête, et on veut t’envoyer dans une autre ville. Tu recommences à te faire du souci. Ta femme te dit de ne pas te laisser faire. « Dis à ton patron que tu as une famille ! ». Tu aimerais qu’elle te fasse un peu confiance, tu sais ce que tu as à faire. La banque bloque ta carte bleue par erreur, tu dois laisser tes courses à la caisse, tu te sens si humilié. Au guichet tu entres dans une colère noire, tous tes problèmes se cristallisent autour de cet événement. Tu ne te laisseras pas faire, tu as l’impression de pouvoir contrôler au moins une chose dans ta vie, on ne t’enlèvera pas ce droit. Tu fais sans arrêt des cauchemars, tu es de plus en plus tendu, tu ne supporte plus le moindre reproche, tu te met tout le temps en colère. A la maison l’atmosphère devient irrespirable. Tu ne sais plus comment tu en est arrivé là, tu te demandes à quel moment tu as merdé. Tu en as tellement marre de cette vie. Pourtant dehors il y a un si joli portique…

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