Mamie devait rencontrer Hansel à noël. Elle aurait dit « on dirait une petite poupée », elle aurait versé une larme. Je lui aurait dit « tu sais, son 2ème prénom c’est Emilio », elle m’aurait fait répéter puis elle aurait versé une autre larme.
La dernière fois que je l’ai vue elle m’a dit « Moi qui ai toujours été là pour les autres, toute ma vie, maintenant on me laisse toute seule ici ». On m’a dit qu’elle disait des bêtises, qu’elle était bien entourée, qu’elle avait des visiteurs tous les jours. Je sais que c’était la vérité, mais le fait qu’elle se sente seule et abandonnée ça m’a fait réfléchir. Se sacrifier toute sa vie pour les autres, si ça ne permet pas de partir en paix, à quoi ça sert ?
Mamie racontait toujours des histoires du passé. Je les connaissais par cœur mais je les aimais, et elle aimait les raconter, alors je ne l’interrompais pas. Elle savait captiver son public, elle riait, elle pleurait. Elle racontait les accidents, les imprévus, les annonces de grossesse, de mariage, les rencontres inattendues. Elle ne radotait pas, elle racontait pour que l’on n’oublie pas, et sa version ne changeait jamais, alors c’est toujours elle que je croyais.
Pour dire bonjour ou au revoir mamie nous serrait fort dans ses bras, et quand on partait elle allait toujours à la barrière nous faire un dernier signe de la main. Quand j’étais petite parfois elle glissait une pièce de 2 francs dans ma main et la refermait, sans que personne ne nous voit.
Mamie n’avait aucun second degré pour tout ce qui concerne la nourriture. Si quelqu’un, après avoir mangé son 3ème dessert disait « j’ai encore une petite faim » pour rire, elle refusait catégoriquement d’y voir une blague et commençait frénétiquement à apporter tout ce qu’il restait dans le frigo et les placards.
Mamie était le point central de la famille, celle qui faisait en sorte qu’on se voit régulièrement tous ensemble. Quand j’allais passer quelques jours chez elle, quand j’étais petite où même plus tard jusqu’à la trentaine, je savais que je n’allais pas m’ennuyer, que je verrai plein de monde, qu’on ferait des sorties intéressantes et qu’elle me donnerait des nouvelles fraiches de toute la famille, plus ou moins éloignée.
Mamie n’a jamais essayé d’avoir l’air jeune ou dans le coup. Elle faisait des gâteaux, du tricot, elle allait à l’église tous les dimanches. Elle allait allumer un cierge si l’un de nous passait le bac ou le permis. Elle connaissait tous les saints à qui s’adresser. On pouvait tout lui raconter et elle donnait son avis, plein de sagesse mais aussi de malice, sans chercher à nous convaincre.
Mamie ne disait jamais de mal de quelqu’un de la famille proche, elle éclipsait rapidement les sujets sensibles pour ne pas avoir à le faire. Elle ne jugeait pas les gens, elle se contentait de les aimer et d’être là pour eux, en priant pour qu’ils fassent les bons choix.
Mamie avait pour idéal de mourir le même jour que papi (comme c’était arrivé à ses parents à lui) et que l’on mette dans sa tombe toutes les lettres d’amour qu’ils s’étaient écrites pendant qu’il faisait la guerre d’Indochine, avant leurs fiançailles. Elle a été incinérée. Papi tient le coup, à 98 ans. Je ne sais pas où sont ces lettres.
Je n’ai pas ressenti de sentiment d’injustice à l’annonce de sa mort. 96 ans, 3 enfants en bonne santé, 6 petits enfant qui ont grandi prés d’elle, 8 arrières petits enfants, peu de drames, beaucoup de voyages, d’amis, de moments forts. Que peut on attendre de plus d’une vie ? Ce qui restera en moi c’est l’amour et la gratitude, et l’espoir qu’à la toute fin elle ait pu se dire que tout de même tout ça en valait la peine.